Promotion et rayonnement de la langue française.

Maintenir la qualité de notre langue, sans laxisme ni purisme.

Quand le français soigne son image !

La langue française n’est pas réservée à des modes d’expression destinés à une élite. Nous avons vu dans un précédent article qu’elle a fait merveille au cinéma, art populaire s’il en est. Dans le présent article, c’est de la bande dessinée que nous allons parler, et plus spécifiquement des relations étroites entre le dessin et le texte dans la bande dessinée francophone, entre le trait et la plume, entre l'image et sa bulle. 

Faisons démarrer l’histoire de la bande dessinée française à la fin du XIXe siècle avec La Famille Fenouillard, Le Sapeur Camember ou encore Les Pieds nickelés et leurs trois malappris Ribouldingue, Croquignol et Filochard. Déjà une tendance se dégage, qui se confirmera tout au long de son histoire : la bande dessinée francophone est affaire de personnages dont les noms à eux seuls sont déjà une invitation au burlesque et au plaisir des mots. De Bécassine à Astérix et Obélix (la BD la plus vendue au monde) en passant par Jo et Zette, Sylvain et Sylvette, Zig et Puce, Quick et Flupke, Tintin et Milou, Spirou, le Marsupilami, Alix le Gaulois, Michel Vaillant, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, Achille Talon... pour ne citer qu’eux, les noms des héros de la bande dessinée francophone annoncent des scénarios où les bulles seront au moins aussi importantes que les vignettes qu’elles illustrent. Comme pour le cinéma, les mots prennent le pas sur l’histoire et la langue devient première. 
Certes, le dessin a aussi une grande importance, et sous l’influence prépondérante de la bande dessinée belge, c’est le concept de la ligne claire qui va progressivement faire école et marquer toute la bande dessinée francophone. Cependant, l’inspiration commune et spécifique de cette bande dessinée francophone, c’est avant tout un jeu avec la langue et les mots, plus qu’aucune autre caractéristique, et cela avec une invraisemblable créativité grâce à l’apparition systématique des bulles, c’est-à-dire d’un espace identifié et délimité réservé aux paroles des personnages. 
En voici plusieurs exemples : les compagnons d’aventures de Tintin et Milou s’appellent, entre autres, le capitaine Haddock (sans parler de la boucherie Sanzot...) ou encore les Dupond/t ; chacun a son langage, comme la tendance au juron du colérique capitaine : « Mille milliards de mille sabords ! Ectoplasme, bachi-bouzouk ! Tonnerre de Brest ! », etc. et la surenchère verbale pour les deux détectives : « Motus et bouche cousue, je dirais même plus, botus et mouche cousue, c’est notre devise ! » ou encore dans L’Oreille cassée (1937), Dupont : « Mon opinion est faite, c’est une lettre anonyme ! » et Dupond : « Je dirais même plus : c’est une lettre anonyme dont l’auteur est inconnu ! ». Chaque personnage a son langage propre, qui définit sa personnalité tout autant que sa silhouette. 
Évidemment, en matière de trouvailles linguistiques, on monte encore d’un cran avec Astérix et Obélix, puisque ce sont les personnages eux-mêmes qui jouent sur leurs propres noms, et, ici, cela en devient un véritable feu d’artifice ! 
Astérix et les Goths (1963) : Cloridric : « Ta vie ne tient qu’à un fil, Téléféric ! » Electric : « Je vais être général ! Le général Electric ! » 
Le Domaine des Dieux (1971) : Anglaigus, l’architecte : « Est-ce clair, esclave ? » Duplicatha, le Numide : « C’est dur à admettre, maître ! » Un Romain : « Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide ! » 
Le Combat des chefs (1966) : Perclus : « Il faut trouver une solution, ô Langelus... sinon Rome va te sonner les cloches ! » 
Astérix et Cléopâtre (1965) : Panoramix : « C’est une bonne situation ça, scribe ?... » Misenplis : « Oh, c’est une situation assise... » 
Astérix en Hispanie (1969) : Touriste gaulois : « Chaque été, les Ibères deviennent plus rudes ! » 

On pourrait multiplier les exemples pris dans Astérix et pourtant, en matière d’inventivité linguistique, il y a plus surprenant encore si l’on pense aux petits hommes bleus ; vous avez certainement schroumpfé de qui il s’agit ? Gargamel n’a qu’à bien se tenir, des générations de lecteurs ont découvert une langue truffée de schroumpfs dont ils devaient schtroumpfer le sens. Et ils schtroumpfaient (et continuent de schtroumpfer) avec délectation... 

Finissons (trop vite) l’illustration de cette particularité sémantique par deux autres personnages célèbres. Tout d’abord, Gaston Lagaffe que l’on peut lui aussi rattacher à son propre langage, de l’expression « M’enfin » à son inactivité légendaire « J’ai dû m’endormir en sursaut. » ; citons au passage les expressions consacrées de quelques-uns de ses acolytes (la colère rentrée de Prunelle et son « Rogntudjuuuu », ou le ricanement sarcastique de la mouette rieuse avec son « Ihihaar »), pour rappeler que la bande dessinée francophone est également une source inépuisable de centaines d’onomatopées inventées au fil des pages ; enfin terminons par Achille Talon, qui se définit comme « admirable, calme, mais granitiquement résolu », au bon sens bien charpenté : « Je vais dégager l’allée avec souplesse, vélocité et ma pelle » ou « Allons faire le point devant un café puissant, cette nuit blanche m’a donné des idées noires ». 
La bande dessinée francophone reste extrêmement active et dynamique, comme l’illustre le festival annuel de la Bande dessinée d’Angoulême (en janvier), qui demeure le premier rassemblement international du genre. Et même si elle a bien évolué ces dernières années – chassez le naturel, il revient au galop –, la bande dessinée d’expression française reste fortement imprégnée d’une verve croquignolesque. 

Alain Sulmon 

Délégation du Gard